Fiction ou réalité ?
En général, quel regard portez vous sur la solitude du Dirigeant ?
Et en particulier, avec des mots comme « tour d’ivoire » ou « se débrouiller seul », ou encore, « prise de décisions clés »?
Au début de son aventure, le Dirigeant, se dirige lui-même. Plein d’énergie, il développe son business sans se soucier du temps.
L’isolement peut déjà se frayer un chemin petit à petit, laissant à notre Dirigeant l’illusion qu’il partage tout avec son équipe.Après quelques années, la structure s’étoffe, les circuits de décision se rallongent. D’ailleurs les enjeux économiques prennent beaucoup plus de place et le besoin de lever des fonds devient indispensable. Notre dirigeant est sollicité à droite et à gauche sur tous les sujets, même éloignés de son activité propre. Il est toujours à la recherche de liens.
Eux, ils lui doivent une partie de leur réussite et ils ne vont pas oser le contredire ; alors, quand il y a une décision à prendre, le Dirigeant, in fine, la prend seul, sans nécessairement en avoir conscience!
Avec tout ça, notre dirigeant se forge des certitudes, complétées par des sentiments de sécurité et de puissance, sans prendre conscience de la tour d’ivoire qu’il se construit.
Les autres liens que notre Dirigeant recherche, sont ceux des actionnaires, (banques, fonds d’investissements…) avec qui il partage de manière informelle la direction de son entreprise. Eux s’intéressent peu à la vie de l’entreprise, hormis les résultats financiers ! Tant que ce sujet va bien, le dirigeant se sent épaulé.
Son entreprise est rentable … et même les contraintes économiques «se liguent» pour le laisser avancer sur un chemin tout tracé, celui de ne pas se questionner !
Il a conscience que, parfois, il aurait besoin d’un spécialiste sur telle ou telle question stratégique, commerciale ou humaine, mais il ne peut (souhaite ?) pas financer ce type d’action!
La solitude est-elle inévitable ?
Donc la question n’est pas tant de regarder si la solitude est inévitable ! Elle est bien là, à un moment ou un autre, voulue ou subie.Même très entouré, chaque lien professionnel avec son entourage est un lien d’intérêt, qui peut renforcer une certaine solitude :
- Quand parler ou non à son banquier des difficultés financières ?
- L’expert-comptable s’arrête à l’aspect financier ; quid de la vision sur le volet industriel ?
- Le soutien du numéro 2 ! Peut-il garder toute son objectivité face à son boss ?
Que penser de tout ça?
Pour moi…
L’image de la «tour d’ivoire», laisse le soupçon d’un certain détachement de la réalité
Le «se débrouiller seul» donne place au doute que le Dirigeant puisse ou sache faire confiance
Et la «prise décision clé» touche à la responsabilité qui lui incombe
Pour chacun de ces cas, le besoin du dirigeant n’est pas le même.
1Accepter que la solitude existe, comme son ombre dans la lumière, et l’apprivoiser.
Maintenant qu’elle est là et nommée, elle peut faire peur, générer de l’angoisse, de la tristesse, et aussi de la colère.
Plus difficile d’imaginer de la joie, sauf d’accepter l’idée que la solitude va nous rendre plus vigilant, parce que conscient de ses effets.
Ensuite nous ne sommes pas tous façonnés avec le même moule : l’isolement pour certains est une source d’énergie, là où d’autres la vivront comme un sujet impossible.
Au final, lorsqu’elle est bien vécue, la solitude du dirigeant est un facteur de pouvoir, de liberté et d’indépendance d’idées.
2 Distinguer la solitude inhérente à la fonction de celle qui se forge petit à petit dans l’illusion.
Un des avantages de la solitude est pour le Dirigeant de ne pas être influencé. Alors que, par exemple, une réflexion de groupe peut conduire à lisser les points de vue, à minorer la prise de risque et à glisser vers une décision molle.
Le statut, en particulier dans les organisations pyramidales, induit l’isolement ;
Et, en esquivant ses émotions, il n’est plus authentique. Alors, dans ce cas, certains dirigeants optent pour la colère, qui, en plus de cacher les autres émotions, est souvent la seule socialement « acceptable » pour une figure de capitaine des lieux. A terme, une telle posture isole ! Alors que, quand un dirigeant parvient à exprimer ses émotions avec sincérité, il grandit dans son lien aux autres.
Sur toutes ces questions, il s’agit aussi de réinventer son management, son leadership (cf des articles précédents) :
- dans «Leadership et coopération», l’accent est donné sur l’exigence d’un leadership à adopter pour aller vers la coopération,
- dans «Réguler, un enjeu pour l’équipe», les articles éclairent l’importance et les moyens pour assouplir les tensions dans les relations
- et l‘article «Soigner le vivre ensemble en entreprise» donne un regard pour aller vers une réalité humaine et sociale.
Face à tout ça, et à la conscience de toute cette montagne à déplacer, le dirigeant peut se sentir seul !
Ne pas y entrer ou en sortir
3 Se donner les moyens de ne pas entrer – ou moyens de sortir – de l’isolement
Des solutions en vrac : faire confiance à son entourage, prendre du temps pour soi, la rencontre entre pairs, ou aussi, l’effet miroir.
=> Admettre sa vulnérabilité de dirigeant, la comprendre et la partager avec les membres de son entourage, réclame du courage ; c’est aussi leur faire confiance sur la capacité d’accueillir la vulnérabilité sans la prendre pour de la faiblesse de caractère. C’est une bonne solution car elle permet de sortir du rôle de l’homme providence, et redonne à soi et chacun de l’entourage, sa responsabilité et la possibilité de prendre soin au quotidien.
=> Prendre du temps pour soi en s’autorisant ce que l’on aime faire d’autre, ailleurs, en apprenant ou réapprenant à prendre du temps ne serait-ce que pour se poser et prendre du recul.
=> Rejoindre un groupe pour échanger entre pairs qu’il soit formel ou pas. Ces moments ont le mérite de créer du lien et permettent d’apprendre des «trucs et astuces».
=>Il y a aussi le travail avec un coach pour décrypter illusions et tour d’ivoire ou pour se ressourcer et (re)dorer son estime de soi ; cf «estime de soi et entreprendre».
Les dirigeants français sont encore peu nombreux à faire appel à un coach. Ils sont réticents à se faire accompagner. Parfois, lorsqu’ils nous rencontrent, ils nous demandent d’aider tel ou tel collaborateur.
Laculture est différente aux Etats-Unis. C’est plus répandu et tout bon dirigeant a un coach.
Là encore la décision, le dirigeant la prend seul.
Dans ces rencontres, les dirigeants ne viennent pas en parlant de solitude, le coach la devine entre les lignes. Dans l’accompagnement, comme un effet miroir, le coach amène le patron à s’interroger sur ses pratiques et ses choix.
Le bon coach ne se trouve pas, il se rencontre.